« Il faut connaître l’histoire des Noirs dans notre pays pour vraiment comprendre les obstacles systémiques qui les empêchent de participer pleinement à la société canadienne, explique l’avocat et expert en droits humains et droits civils, Anthony Morgan. Sans faire cet effort, certaines personnes pourraient penser que les Canadiens noirs sont dysfonctionnels ou incapables de « s’en sortir ».
Les racines profondes du racisme anti‑Noirs
Anthony, qui a consacré la plus grande partie de sa carrière aux litiges en matière de droits de la personne et de racisme, affirme que la conviction que les Noirs au Canada sont dysfonctionnels est profondément ancrée dans l’histoire des Canadiens noirs ainsi que dans l’expérience de l’esclavage et de la colonisation. Il soutient que la trame immémoriale d’utopisme racial du Canada est un mythe et que les Canadiens aiment croire que les tensions raciales qui pèsent sur la société américaine n’existent pas dans leur pays. Ces croyances, qui existent depuis l’époque de la colonisation, ont contribué à normaliser le racisme anti‑Noirs au sein de la société en général.
« On est arrivé au point que les gens ici estiment qu’il n’y a aucune raison de se plaindre et que les Noirs au Canada sont traités équitablement, fait observer Anthony. Face aux données relatives aux taux élevés de violence au sein de la communauté noire, de pauvreté et de chômage, de mauvais résultats scolaires, de troubles de santé mentale ou d’appréhensions d’enfants par le système de protection de l’enfance, il est facile de rejeter la faute sur les Noirs et les communautés noires ».
Répercussions du racisme systémique sur le système de justice
Ce genre de données est exactement ce que Kim Roach, responsable de la Stratégie à l’intention des communautés racialisées d’AJO, a utilisé pour démontrer la nécessité qu’AJO élabore cette stratégie.
« Pour de nombreux membres de communautés racialisées — la communauté noire en particulier — le racisme systémique a des répercussions sur tous les aspects de leur vie, de l’éducation des enfants à la santé, en passant par l’éducation et l’emploi, explique Kim. Cette réalité les rend plus susceptibles de se retrouver aux prises avec le système de justice. »
« Il est donc important d’acquérir une compréhension responsable, contextuelle et factuelle du passé afin de comprendre ce que les Noirs vivent aujourd’hui au Canada, à la lumière du contexte du racisme anti‑Noirs passé et présent, précise Anthony. Les stéréotypes, les préjugés et le racisme envers les individus d’ascendance africaine n’ont pas disparu d’un coup dès que l’esclavage a pris fin. Ce genre de croyance continue d’infecter et d’affecter nos institutions sociales, nos marchés du travail, nos médias, nos politiques et nos pratiques. »
Kim en convient, ajoutant que les enfants noirs, par exemple, ont plus de risques que les enfants blancs d’être suspendus ou expulsés des écoles pour certains problèmes et que cela augmente la probabilité que les enfants noirs finissent par se retrouver aux prises avec le système de justice criminelle. C’est l’une des raisons pour lesquelles AJO a financé le TAIBU Health Centre en partenariat avec le Rexdale Health Centre, dans l’objectif d’encourager les jeunes Noirs à rester à l’école.
Pour ceux qui sont déjà dans le système de justice, cependant, AJO a financé des rapports d’évaluation culturelle dans une affaire établissant un précédent.
« Ces rapports permettent à la défense de dresser une image complète de l’accusé, explique Kim. L’avocat de la défense présente l’histoire de l’accusé et le rôle que le racisme systémique aurait pu avoir sur ses actes. »
Sensibilisation
Les rapports d’évaluation culturelle sont un bon départ.
Anthony pense que lorsque les gens commencent à parler de l’histoire des Noirs et qu’ils entendent des récits vécus, ils comprennent mieux comment modifier leurs approches et habitudes personnelles et recadrer les politiques et procédures.
« En lisant les statistiques socio‑systémiques sur la marginalisation des Noirs, il ne fait pas de doute qu’elles sont le résultat de l’esclavage. (L’esclavage) a peut‑être disparu depuis longtemps, mais son héritage perdure dans les services policiers, les services de bien‑être de l’enfance et le système éducatif. »
Kim se sert des problèmes existant dans le système de mise en liberté sous caution pour illustrer les arguments d’Anthony.
« À AJO, nos recherches ont démontré que lorsqu’on examine qui obtient une mise en liberté sous caution et qui ne l’obtient pas, on distingue une séparation raciale. Les Noirs ont moins de chances d’obtenir une mise en liberté sous caution que des Blancs accusés des mêmes infractions et ayant des antécédents semblables, affirme‑t‑elle. Et si un Noir se voit accorder un cautionnement, les conditions qui lui sont imposées sont souvent plus nombreuses et lourdes que pour des Blancs. Il y a un autre problème sur lequel se penche AJO dans le cadre d’un projet pilote qui vise à faire respecter le principe de l’échelle. »
Jurisprudence choisie qui porte sur le sujet du racisme anti‑Noirs
Pour des avocats qui ont des clients de race noire, Anthony estime que l’éducation est primordiale.
« Il y a trop d’avocats qui interagissent avec des clients noirs ou des familles de clients noirs sans être au courant des affaires qui ont eu un impact sur les communautés noires », explique Anthony.
Il signale des décisions dans lesquelles les tribunaux ont énoncé des « définitions très solides et détaillées du racisme anti‑Noirs. »
« Pour qu’un avocat réussisse, il doit passer en revue la jurisprudence dans laquelle des juges ont défini le racisme anti‑Noirs et les formes que ce racisme prend dans la société canadienne, a précisé Anthony Morgan. C’est une excellente façon pour les avocats d’obtenir un contexte approprié. »
Renseignements
- R. v. Parks, 1993
- R. v. S., 1997
- R. v. Borde, 2003
- R. v. Hamilton, 2004
- R. v. Spence, 2007
- R. v. Reid, 2016
- R. v. Morris, 2018
- R. v. Jackson, 2018
- Action Plan to Confront Anti Black Racism (en anglais seulement)
- Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine