« Est-ce que la police va venir à mon bureau? »
« Pourquoi devrais-je aller à la salle d’urgence pour obtenir de l’aide dans une telle situation? »
« Je ne peux plus me rendre à mes rendez-vous parce que le transport en commun me déclenche des crises d’anxiété. »
« Un seul épisode de dépression légère — pour lequel je souhaitais obtenir un traitement! — m’a valu deux années de discrimination et de stigmatisation ».
Un récent forum public organisé par le Conseil d’autonomie des clients du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) a donné à des dizaines de participants l’occasion de partager leurs expériences à propos de quelques-unes des conséquences graves de la suspension du permis de conduire.
Ces expériences reflétaient toutes un sujet commun de préoccupation. En vertu du Code de la route, les médecins, notamment ceux des salles d’urgence, sont tenus de signaler au ministère des Transports toute personne dont ils estiment que « l’état de santé est tel qu’il peut être dangereux pour cette personne d’utiliser un véhicule automobile », ainsi que toute personne « atteinte d’un état ou d’un trouble nerveux ou d’un état ou d’une déficience mental, affectif ou physique qui aura vraisemblablement pour effet d’entraver de façon appréciable son aptitude à conduire avec prudence un véhicule automobile ».
Pour les clients atteints de troubles mentaux, c’est un terrain très glissant. Les lignes directrices d’évaluation publiées par l’Association médicale canadienne et le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé sont très générales et offrent peu de critères ou de questions appropriées à poser pour un diagnostic en santé mentale. On ne dispose d’aucun résultat de recherche scientifique rigoureuse qui permettrait de prédire les risques d’un accident, ou montrerait une relation quelconque entre les besoins en santé mentale et l’aptitude à conduire. La discrimination dans ce domaine n’est rien de plus qu’un ajout réglementaire apporté incidemment : le Code de la route a été modifié en 2011 pour protéger le ministère des Transports et les médecins contre des plaintes en matière de droits de la personne. Ceci malgré le fait qu’une seule évaluation ou admission pour un premier épisode de dépression peut entraîner une suspension du permis de conduire pendant 5 ans!
Les histoires partagées lors de la table ronde soulignaient les effets dévastateurs qu’une telle suspension peut avoir. Cela peut forcer quelqu’un à révéler ses problèmes de santé mentale à ses amis, les membres de sa famille, ses enfants, et ses chefs au travail. Cela peut avoir un impact sur la capacité d’une personne à maintenir ou à trouver un emploi, ou à vivre de façon autonome, surtout dans les régions rurales. Et peut-être pire encore, c’est l’effet paralysant sur ceux et celles qui pourraient avoir le plus besoin d’aide, en les punissant lorsqu’ils font un effort pour essayer de s’en sortir en situation de crise, et en brisant la confiance qu’ils pourraient avoir dans la personne ou l’établissement qui leur fournit des soins de santé.
Les chiffres sont également surprenants. D’après les renseignements obtenus auprès du ministère des Transports, en 2011, il y a eu près de 24 500 suspensions de permis de conduire pour des raisons médicales. Pourtant, « handicap médical/physique » n’est cité à propos de l’état du conducteur que dans 1000 des 385 000 collisions survenues en Ontario cette année.
Il n’est pas surprenant que lors du forum public, la discussion ait rapidement porté sur l’autonomisation et le changement. Il y a de bonnes raisons d’être optimistes puisque des années d’activisme sur cette question commencent à voir des résultats. Par exemple, l’autorisation a été récemment accordée de porter une affaire devant le Tribunal des droits de la personne. Cette affaire conteste à la fois les dispositions du Code de la route en elles-mêmes ainsi que le processus d’examen médical et d’appel du ministère des Transports, en faisant valoir que cela constitue une violation des droits de la personne pour ceux et celles qui ont des problèmes de santé mentale. Des étudiants en droit de l’Osgoode Hall Law School ont aussi décidé de s’engager dans ce domaine en publiant un excellent document d’éducation publique et de défense des droits individuels sur un site Web dédié à cette question. Par ailleurs, les avocats du Conseil d’autonomie des clients envisagent de soulever la question du besoin d’un changement systémique.
(À partir de la gauche, debout : Ryan Fritsch, conseiller en politiques, Stratégie en matière de santé mentale d’AJO avec Lucy Costa du Conseil d’autonomie des clients et Toby Samson de la Osgoode Hall Law School).